Amazed - Chapitre 4

La chambre d'hôtel de May
Jeudi 14 novembre 2002
11h54

May sort de la salle de bains en s'essuyant la figure. Elle s'assied sur son lit l'air hébété. Elle paraît complètement sous le choc. Elle tremble et les larmes menacent de couler. Puis elle se laisse tomber en arrière et se couvre la figure de ses mains. Soudain, elle laisse retomber ses mains sur le côté et éclate de rire. Un rire franc et joyeux, plein de vie. Un vrai rire de bonheur. Puis elle décroche le téléphone.

« Allô ! »
« Allô, Val ? Coucou, c'est May. Comment va ? »
« Ça va, et toi ? Alors ? »
« On a eu les résultats ce matin. Et ils sont positifs ! »
« Ouah, génial ! Et comment il est, ton père ? »
« Super génial. En plus, il est super bien conservé, pour son âge ! On a beaucoup parlé, tous les deux. Il connaît plein de choses. Et j'ai de la famille. Sa mère et sa grand-mère sont encore vivantes, ainsi que son beau-père et son demi-frère. Et tu ne devineras jamais ! »
« Quoi ? Dis-moi ! »
« Val, il est pilote. »
« Je rêve ! »
« Encore plus fort : mon grand-père et mon arrière-grand-père l'étaient aussi. Tous les trois pilotes de la Navy ! »
« Tu parles d'une coïncidence ! »
« C'est fantastique. Il a dit qu'il m'emmènerait samedi faire un tour d'avion. »
« Pourquoi ? Il a le droit d'emprunter un Tomcat ? »
« Non, il m'a dit qu'il avait retapé le Stearman que son grand-père avait acheté avant la guerre. Tu sais que maman m'a donné le nom des deux femmes qui avaient le plus comté dans sa vie. Et bien la deuxième, c'est mon arrière-grand-mère, Sarah Rabb, et le Stearman
porte aussi son nom ! »
« J'y crois pas ! Le monde est vraiment petit ! »
« E tu sais pas le prénom de la femme dont mon père est amoureux. »
« Elle ne s'appellerait pas May, par hasard ? »
« Non, elle s'appelle Sarah ! »
« Oh mon Dieu ! Et tu as des frères et sœurs ? »
« Non. En fait, elle est lieutenant-colonel dans les Marines, et elle bosse avec lui au JAG. Tu aurais vu les étincelles entre eux quand on est entré dans son bureau ! Tu aurais pu allumer un feu rien qu'avec ça ! »
« Et il compte l'épouser ? Ça serait marrant que tu aies des petits frères et sœurs à ton âge ! »
« Pour qu'il l'épouse, il faudrait d'abord qu'ils admettent qu'ils sont amoureux ! Et d'après ce que j'ai vu et entendu, c'est pas pour demain ! »
« Quoi, il lui a jamais rien dit ? Il est manchot ? »
« Non. À mon avis il est timide. Val... tu es assise ? »
« Oui, pourquoi ? »
« J'ai rencontré quelqu'un? »
« Un homme ? »
« Oui, un homme. Tu crois au coup de foudre ? »
« Et bien... je ne sais pas... je n'en ai jamais éprouvé. Mais j'en ai entendu parler. C'est arrivé à ma cousine, avec son fiancé. Elle l'a vu et... pouf ! elle était amoureuse. »
« C'est ce qui m'est arrivé ce matin. »
« Raconte ! Et avec les détails. »
« Et bien... je suis arrivée dans son bureau. Il était assis à son bureau, en train de lire un papier. Et quand il a relevé les yeux, nos regards se sont croisés. »

Elle a le souffle court, rien qu'au souvenir de l'émotion.

« Je n'ai jamais ressenti ça pour personne d'autre. C'est comme si... une partie de moi manquait mais je n'en avais jamais eu conscience. Et brusquement, ce vide était rempli par lui… C'est une sensation si forte, Val. J'avais l'impression que mon cœur allait exploser. »
« Ouah ! Comment il s'appelle ? Et physiquement, il est comment ? »
« Il s'appelle A.J. et il a les plus beaux yeux bleus du monde ! »
« Et il fait quoi ? »
« Il est dans la Navy. Il travaille au JAG, comme papa. »
« Un avocat ? Bof. Et il sait, que tu es amoureuse de lui ? »
« Je sais qu'il a ressenti la même chose que moi. Mais comme je ne sais pas s'il est marié... Tout à l'heure, je vais aller dans un cybercafé pour consulter son dossier. Je devrais bien trouver quelque chose. Et puis après, on verra. »
« Il s'en sera passé, des choses, cette semaine ! »
« Émotionnellement, c'est pas évident. J'ai trouvé mon père, je suis tombée amoureuse. »
« Et Michael, qu'est-ce qu'il va dire ? »
« Tu sais bien que je ne suis pas amoureuse de Michael. Il m'a invitée au cinéma deux fois, ça ne fait pas une histoire d'amour. Et puis je n'ai pas de comptes à lui rendre, même si lui est amoureux de moi ! »
« Il va pas prendre ça très bien... »
« Ça m'est complètement égal ! S'il veut quelque chose de moi, il n'aura que ce que je peux lui donner : des leçons de pilotage ! »
« C'est vrai qu'il en aurait besoin ! »

Un temps.

« Parle-moi franchement, May. Qu'est-ce qui se passe avec A.J. ? Je sens bien qu'il y a quelque chose qui cloche. »

May pousse un gros soupir.

« Il est plus âgé que moi. Pas mal plus. »
« Combien ? 10 ans ? »
« Je ne sais pas trop. Mais assez pour que ça se voit. »
« Tant que ça ? »

May hésite.

« Oui. »
« Ben ma vieille ! Tu sais dans quoi tu t'embarques ? »
« Pas vraiment. La seule certitude que j'ai, c'est que je l'aime et que je ferai tout pour gagner son amour. »
« Et bien bonne chance ! »
« Merci Val, je vais en avoir besoin ! À part ça, comment ça se passe là-bas ? »

La conversation continue quelques minutes, puis elles raccrochent. May reste quelques minutes sans bouger, réalisant l'importance du coup de fil. Enfin, elle se lève, prend son sac et va au cybercafé.

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QG du JAG
Jeudi 14 novembre 2002
13h28

Dans son bureau, A.J. est enfin seul. Il a travaillé toute la matinée quoiqu'il ne se souvienne pas de ce qu'il a bien pu dire ou faire depuis l'entrée de la fille de Rabb. Renversé sur son fauteuil, il pense à elle. Impossible de sortir de son esprit l'intensité avec laquelle elle l'a regardé. Comme s'il était le centre de son monde, son héros ou son prince charmant. Comme si elle lui disait qu'elle l'aimait.

Il se lève et va poser son front contre la vitre froide. Il ferme les yeux. May... il fait le compte. Connaissant l'âge de Rabb, le sien, elle a... Seigneur ! au moins quarante ans de moins que lui. Les genoux d'A.J. tremblent. Il a le souffle coupé, mais cette fois d'angoisse. Il retourne s'asseoir.

Ça n'est pas possible. Absolument pas possible. Hors de question. Comment une fille de vingt ans et un homme de soixante pourraient-ils avoir ne serait-ce qu'une aventure ensemble ?

Oh bien sûr, ça arrive. À Hollywood, où des vieux beaux se font de jeunes mannequins. Mais dans son monde, ça n'arrive pas. Que diraient ses amis ? Tous des amiraux, dûment mariés, avec femmes et enfants, parfois même petits-enfants. De l'âge de May... Et puis, que
pourrait-elle bien lui trouver ? À une fille de vingt ans, il faut un garçon de vingt ans. Pas un homme vieillissant à quelques années de la retraite.
A.J. se tasse sur son fauteuil. Il pense à ce qui aurait pu être… s'il avait eu quarante ans de moins. Après s'être apitoyé sur son sort pendant un long moment, l'amiral reprend le dessus. Il enfouit ses émotions profondément dans son cœur, là où personne, pas même lui, ne pourra venir les déterrer. Comme il n'y a aucune chance qu'elle soit amoureuse de lui, pourquoi devrait-il garder ses sentiments accessibles ?

L'amiral sort de son bureau.

« Tiner, je vais déjeuner. »

Et il quitte le bâtiment.