Mercredi 22 Avril

Le réveil surprit Théo au milieu d’un rêve impliquant Cicely, un train et une mine d’or. Pendant qu’il prenait une douche et effaçait les dernières brumes de ce rêve bizarre, il fit le point sur sa journée, en espérant avoir une occasion de l’appeler.

 

A huit heures, il était chez le légiste.

 

“Salut Maxime.”

“Salut Théo.”

“Dis-moi tout.”

 

Maxime releva le drap qui recouvrait Mel. Théo eut eu haut-le-coeur. Les quelques coupures sur son visage avaient été nettoyées, et elle aurait eu l’air de dormir s’il n’avait pas vu la suture en V sur son torse. Il ferma les yeux un instant et écouta le médecin.

 

“Amelia Campbell n’est pas morte d’une chute à travers un plancher. Elle a été projetée contre un mur, ou vu la demeure, plus probablement une cheminée ou une boiserie.”

 

Maxime le guida vers une série de radios.

 

“Tu vois, ici, la fracture du crâne? Elle est rectiligne et horizontale.”

“Comment se fait-il qu’il n’y ait pas eu de sang?”

“Un coup pour rien.”

“Pardon?”

“Un coup sur la tête ne fait pas toujours craquer le cuir chevelu. Le second, oui.”

“Pourquoi penses-tu qu’elle n’a pas traversé le plafond?”

“Elle n’a aucun des traumatismes qu’on trouve généralement dans ce genre d’accidents: pieds ou chevilles cassés, lacération des jambes. Et quand j’ai fait enlever le corps, il n’y avait aucun débris sous elle.”

“Et il aurait dû y en avoir.”

“Oui. Sophie pourra le confirmer. J’ai envoyé un message au proc pour lui demander de renvoyer une équipe au château.”

“Sa dernière photo date de dimanche à 10h54, c’est cohérent?”

“Tout à fait. J’avais estimé la mort entre neuf heures et midi.”

“A mon avis, on a là un meurtre maquillé en accident.”

 

L’assistant de Langlois frappa et entra dans la salle d’autopsie.

 

“Mademoiselle Campbell vient d’arriver.”

 

Maxime sursauta.

 

“Quoi?”

 

Théo sourit.

 

“Cicely Campbell, la soeur de cette mademoiselle Campbell. Faites-la entrer.”

 

Maxime remonta le drap jusqu’au cou de Mel pour cacher l’incision. Cicely eut un sanglot en découvrant sa soeur. Elle s’approcha de la table et regarda son visage. Elle tendit les doigts comme pour lui toucher la joue puis les retira. Elle sortit un mouchoir et s’essuya les yeux.

 

“C’est bien elle. Ma petite soeur Amelia.”

“Toutes mes condoléances.”

“Merci docteur.”

 

Théo regarda Mel une dernière fois avant que Maxime ne la recouvre du drap puis il se tourna vers Cicely.

 

“Je te raccompagne. Salut, Maxime.”



 

En sortant de l’Institut Médico-Légal, Théo prit Cicely dans ses bras et ils s’enlacèrent. Elle s’effondra et sanglota douloureusement. Il savait qu’il n’aurait pas du s’impliquer autant, mais ses sentiment se réveillaient et il ne pouvait pas les ignorer. Après quelques minutes, les pleurs de Cicely se calmèrent et s’écarta légèrement.

 

“Ca va?”

 

Elle eut un sourire triste.

 

“Je pense que ça va commencer à aller mieux maintenant. Lui dire au revoir… Nos parents n’auront pas cette possibilité.”

“Tu veux que je te raccompagne?”

“Non, ça va aller, je vais marcher. Et puis tu as beaucoup de travail. Merci d’avoir été là avec moi.”

“Je t’en prie. Je t’appellerai quand tout sera prêt.”

“D’accord. Bye, Teddy.”

 

Elle l’embrassa légèrement sur les lèvres et s'éloigna. Elle ne lui en voulait donc pas pour le baiser qu’il lui avait volé en partant la veille. Théo resta quelques minutes assis dans sa voiture. Un meurtre… Qui pouvait en vouloir à Mel à ce point? Qui avait intérêt à la voir disparaître? L'enquête pour corruption allait devoir passer au second plan.

 

***

 

Devant sa tasse de thé, Cicely hésitait. C’était à elle de prendre en charge toute l’organisation de la succession de sa soeur, de ses funérailles à la clôture de ses divers comptes. La première chose à faire: les réseaux sociaux.

 

Elle ouvrit son ordinateur, réalisa qu’elle n’avait aucun des codes d’accès et soupira. Elle ouvrit la page facebook de sa soeur et lentement composa le message d’adieu qu’elle allait poster.

“Ma soeur Amelia, plus connus sous le nom de Mel Campbell, est décédée dimanche lors de l’exploration d’un château abandonné.

Soyez prudents quand vous faites de l’UrbEx!

Si vous souhaitez faire un geste en sa mémoire, vous pouvez donner à des associations de protection du patrimoine.

Vous pouvez aussi poster un message, une anecdote, un souvenir. Sa famille sera touchée de savoir qu’elle reste dans vos mémoires.”

 

Elle s’arrêta plusieurs fois, essuyant ses yeux et son nez. Elle pensait pourtant ne plus avoir de larmes. Son hommage à Mel serait de continuer ce qu’elle avait commencé: la réunion pour les dix ans de la mort de Sarah. Elle parcourut alors la liste des amis de sa soeur et trouva ce qu’elle cherchait. Elle sélectionna Eric, Rachel, Fanny et Marcus et leur envoya un message plus personnel, leur demandant si Mel avait déjà pris contact avec eux, et si elle avait déjà organisé quelque chose. Pour Vincent, elle le retrouverait plus tard.

 

Pour Twitter et Instagram, elle ne pouvait rien faire sans les codes. Mais en accédant au fil de ses photos, elle vit que la dernière publication remontait au matin de sa mort, devant le Château Montignac et le choc fut tel que le téléphone lui tomba des mains. Elle finit par faire une capture d’écran, sachant que plus tard, quand le chagrin se serait apaisé, elle serait contente qu’il n’ait pas disparu dans les méandres du net.

 

***

 

De retour à son bureau, Théo réunit son équipe.

 

“Bonjour tout le monde. L’enquête sur la mort de Mel Campbell a pris une nouvelle direction. Le docteur Langlois penche pour un meurtre déguisé en accident. Elle serait morte d’avoir été projetée sur un mur ou une cheminée. On en saura plus après le deuxième passage de la Scientifique. Donc on reprend tout depuis le début. Bernard et Lecomte, vous restez sur la critique oenologique. Rebel, vous allez reprendre les photos de Mel et les examiner attentivement. Elle était spécialisée dans les photos de bâtiments, mais si elle a été tuée, il y avait quelqu’un avec elle. Donc il y a peut-être quelqu’un dans le champ. Vérifiez bien les ombres. Ensuite vous passerez aux réseaux sociaux. Demandez l’accès à tous ses comptes. Vérifiez les menaces éventuelles, les harceleurs.”

“Bien , Mon Lieutenant.”

“Simonnot, le moyen de transport. Il y a environ quinze kilomètres depuis Bordeaux. Elle a pu y aller à pied, mais elle a aussi pu prendre un taxi, un Uber, ou même un bus. Vérifiez aussi les locations de vélos et de voitures. ”

“Compris, Mon Lieutenant.”

“Couffin, vous parlez anglais?”

“Un peu.”

“Je vais appeler Scotland Yard dans quelques minutes, je devrais avoir accès aux fadettes assez rapidement. Il faudra parler au fournisseur d’accès. Vous pouvez vous en charger?”

“Je pense, oui.”

“Si vous n'arrivez à rien, dites-le moi.”

“Oui, Mon Lieutenant.”

 

Il regarda sa montre.

 

“Léonie, j’ai quelques coups de fil à passer, on part après. On va passer à son hôtel et à la librairie où elle a eu son dernier rendez-vous connu.”

“Bien Mon Lieutenant.”

“Merci à tous, et au travail.”

 

L’équipe se dispersa et Théo regagna son bureau. Par qui commencer? Il réfléchit un instant et prit son combiné.

 

“Hello.”

 

La voix du père de Mel était fatiguée et triste.

 

“Hello, Mr. Campbell. It’s Théo… Teddy.” (Bonjour M Campbell, c’est Théo… Teddy.)

“Oh, hi Teddy. And please, call me Henry. Do you have any news about my Amelia? When will you bring her home?” (Oh, salut Teddy. Et s’il te plait, appelle-moi Henry. As-tu des nouvelles de mon Amelia? Quand la ramènes-tu à la maison?)

“I’m afraid I don’t have good news. The coroner determined that her death wasn’t an accident.” (Je suis désolé, je n’ai pas de bonnes nouvelles. Le médecin légiste a déterminé que sa mort n’était pas un accident.)

“What?” (Quoi?)

“Someone is responsible for her death, whether it was planned or not. So we have to keep her for a little while longer.” (Quelqu’un est responsable de sa mort, qu’elle ait été planifiée ou pas. Donc nous devons la garder encore un peu.)

“Maggie will be devastated.” (Maggie sera anéantie.)

“I’m sorry, it can’t be helped.” (Je suis désolé, je ne peux rien y faire.)

“I know…” (Je sais…)

“Cicely told me she broke up with her girlfriend, recently. Do you have her name?” (Cicely m’a dit qu’elle avait rompu avec sa petite amie récemment. Avez-vous son nom?)

“Yes, Anna Milford. Maggie knows more about this than me, but she was feeling so poorly, the doctor gave her a sedative. We’ll call you back when she’s awake.” (Oui, Anna Milford. Maggie en sait plus que moi sur le sujet, mais elle se sentait si mal que le docteur lui a administré un sédatif. Nous t’appellerons quand elle sera réveillée.)

“I’d appreciate that. I’m calling Scotland Yard next, I want a team to visit Mel’s flat in London. I can get a warrant, but it shouldn’t be necessary with your permission.” (Oui, ça serait bien. Je vais appeler Scotland Yard en suivant. Je voudrais qu’une équipe aille voir son appartement à Londres. Je peux avoir une commission rogatoire si nécessaire, mais je ne devrais pas en avoir besoin si j’ai votre permission.)

“Yes, of course.” (Oui, bien sûr.)

“I’m working on finding who ever did this, Henry.” (Je cherche qui a pu faire ça, Henry.)

“I know you are. Thank you, son.” (Je sais bien. Merci fiston.)

“You’ll thank me when I make an arrest.” (Vous me remercierez quand j’arrêterai quelqu’un.)

 

Et d’un. Théo nota quelques points dans son carnet et composa un autre numéro.

 

“Scotland Yard.”

“Hello, this is Lieutenant Théodore Martin, from the French Gendarmerie. A British national has been found dead yesterday, Is there anyone I can speak to?” (Bonjour, Lieutenant Théodore Martin de la Gendarmerie Française Une ressortissante anglaise a été retrouvée morte hier, à qui pourrais-je parler?)

“International relations, that would be Superintendent Leslie Ward. I’ll transfer you.” (Relations internationales, c’est le Superintendant Ward. Je vous la passe.)

“Thank you.” (Merci)

“Ward speaking.” (Ward à l’appareil.)

 

Théo répéta son nom et la raison de son appel.

 

“So the coroner believes she was murdered and the crime was disguised as an accident. Does he have any proof of that?” (Le médecin légiste pense donc qu’elle a été assassinée et que le crime a été maquillé en accident. Avez-vous des preuves de ça?)

“Yes, there are some inconsistencies in her wounds. The scientific department has been dispatched again on the scene to collect more evidence. In the meantime, I have to consider her death suspicious at best.” (Des incohérences dans ses blessures. La Scientifique a été renvoyée sur la scène pour recueillir plus de preuves. En attendant, je dois considérer sa mort comme suspecte.)

“I understand. How can I help?” (Je comprends. Comment puis-je vous être utile?)

“Two things. I need access to her phone records and someone to pay a visit to her flat in London. Do you need a warrant for either? I have her father’s authorization to do the search, he’s a retired police officer from Bristol.” (Deux choses. J’ai besoin de ses relevés téléphoniques, et d’une visite à son appartement. Avez-vous besoin de commissions rogatoires? J’ai la permission de son père pour la perquisition, il est policier à la retraite à Bristol.)

“Yes, I would prefer an official trail, I’ll set everything up as soon as everything is in order. Is there anything they might want to take a look at in particular?”(Oui, je préfère faire les choses dans les règles. Je mettrai tout en place dès que j’ai les papiers. Y a-t-il quelque chose à laquelle les policiers doivent faire attention?)

“She just broke up with her girlfriend, Anna Milford. Maybe check her whereabouts?” (Elle vient juste de rompre avec son amie, Anna Milford. Vous pourriez peut-être vérifier où elle est?)

“All right. I’ll contact you as soon as I have something.” (Très bien. Je vous contacte dès que j’ai quelque chose.)

“Thank you very much.” (Merci beaucoup.)

 

Et de deux. Théo raccrocha avec un soupir, puis envoya un mail rapide à Vincent pour lui demander les commissions rogatoires, avec traduction en anglais. Plus qu’un appel avant de partir.

 

“Salut Cicely!”

“Salut Théo!”

“Dis, j’aurais juste besoin de deux petites choses pour boucler l’affaire. Tu sais si ta soeur conduisait? Elle aurait pu louer une voiture?”

“Vous ne savez pas comment elle est allée au château? 

“Pas encore.”

“Elle ne conduisait qu’à gauche, elle n’aurait pas loué une voiture ici. Elle aimait marcher, et elle faisait pas mal de vélo, donc il est possible qu’il en ait loué un.”

“Ok. Et tu aurais le nom de l’hôtel dans lequel Mel était descendue? A moins qu’elle n’ait choisi un AirBnB?”

“Elle aimait se faire servir. Elle avait choisi l’Hôtel de Guyenne, rue Saint Rémi. Quand est-ce que je pourrai la ramener à la maison?”

 

La protéger encore un peu. Il savait que son père ne lui dirait rien.

 

“On a encore quelques petites choses à vérifier. Je te téléphone dès que j’en sais plus.”

“D’accord. J’ai envoyé un message aux membres de la bande que j’ai pu trouver, pour l’hommage à Sarah. On fera aussi une veillée pour Mel. Je vais tout organiser et je te dirai où et quand ça se passera.”

“Merci, Cicely.”

“Je t’en prie.”

 

***

 

La chambre d’hôtel ne présentait rien de particulier. Une valise vide, les vêtements avaient été rangés dans le placard, le lit fait, la femme de ménage était passée, donc il ne trouverait rien. Il mit l’ordinateur portable dans un sac en plastique de preuves. Le réceptionniste ne put leur confirmer l’heure à laquelle elle était partie, n’étant pas de service. Il leur donna le nom de sa collègue qui travaillait le dimanche matin.

 

En sortant, Théo transmit l’information à son équipe qui se chargerait de la contacter. Il prirent ensuite la rue Porte-Dijeaux jusqu’à la plus grande librairie de Bordeaux. Le responsable de l’événementiel les reçut dans son bureau.

 

“Je viens d’apprendre la mort de Mel Campbell par les journaux. C’est horrible. Dire qu’elle était là il y a juste quelques jours…”

“Pouvez-vous nous raconter comment s’est passée la séance de dédicace?”

“Et bien… Elle est arrivée vers neuf heures quarante, accompagnée de sa soeur. On a bavardé un moment, et puis elle s’est installée à la table, avec les livres. Sa soeur est partie peu après et mademoiselle Campbell a commencé les dédicaces. Elle s’est interrompue vers midi quarante. Elle a un peu débordé parce qu’il restait quelques clients. Nous avons déjeuné ensemble et nous étions de retour ici à une heure trois quart. A quatorze heures, il y a u une rencontre avec des clients, elle a parlé de son expérience, elle a répondu à des questions et puis elle est partie vers seize heures vingt.”

“Avez-vous remarqué quelque chose de particulier? Quelqu’un qui l’aurait mise ma à l’aise, ou au contraire, qui lui aurait semblé familier?”

“Non, mais je ne suis pas resté très longtemps pendant les dédicaces, je suis revenu dans mon bureau. Je ne l’ai retrouvée que pour le déjeuner.”

“Et pour la rencontre?”

“Je suis resté assi un peu à l’écart. Je reste toujours pour gérer les problèmes s’il y en a.

“Et il y en a eu?”

“Non, aucun. Les gens étaient très interessés, passionnés, même. Elle leur a déconseillé de partir en UrbEx sans précautions. Et puis mourir comme ça…”

“Vous avez des caméras, j’imagine?”

“Oui, mais c’est une société privée qui s’occupe de la surveillance. Voici leur carte.”

“Merci beaucoup. N’hésitez pas à me contacter si quelque chose vous revient.”

“Oui, bien sûr.”

 

La société de vidéosurveillance était située à l’autre bout de la ville. Dans la voiture, Théo se plongea rapidement dans ses pensées et n’entendit Léonie qu’au bout de quelques secondes.

 

“Désolé, je réfléchissais. Que disiez-vous?”

“Et bien… Je voulais étudier notre victime, donc j’ai sorti le dossier de Sarah Martin, dans lequel elle apparaît.”

“D’accord. Et qu’avez-vous appris?”

“Il y a eu très peu d’analyses scientifiques. Je sais bien que c’était un squat, mais elle était pas là-bas toute seule.”

“Comment ça?”

 

Théo écoutait Léonie attentivement. Si elle était maligne, elle arriverait sans doute aux mêmes conclusions que lui.

 

“S’il y avait eu des squatteurs à l’époque, ils auraient déplacé le corps à un autre endroit, pour ne pas qu’on les suspecte. Mais si l’endroit était vide, pourquoi serait-elle entrée là? Si c’était juste pour acheter une dose, elle serait ressortie et elle aurait regagné son appart. La coke est une drogue festive, on la partage, on sniffe en bande. Ca aurait été cohérent avec une utilisatrice d’héroïne, mais pas pour de la cocaïne.”

“Très juste.”

 

Très maligne…

 

“Donc si on l’a retrouvée là, c’est qu’on l’a déposée là.”

 

Théo jeta un coup d’oeil à sa jeune collègue, qui manifestement guettait son approbation.

 

“Continuez.”

“J’ai étudié les dépositions de sa bande d’amis. Ca m’étonne qu’ils l’aient laissée sortir seule pour aller acheter une dose. Elle était consommatrice occasionnelle, soit, mais il y en a forcément un ou une qui serait venu avec elle. Et puis on a pas retrouvé dans ses fadettes de coup de fil suspect à un dealer. Rien ne suggérait qu’elle était l’acheteuse habituelle.”

“Votre conclusion?”

"L'enquête a été bâclée et personne n’a fait son boulot. Toute la bande aurait due au moins passer une nuit en garde à vue. Ils étaient les derniers à l’avoir vue. Ca aurait délié les langues.”

“Léonie, vous venez de me prouver que vous avez l’étoffe d’une excellente enquêtrice. Le policier qui a enquêté était à six mois de la retraite, la jeune fille, comme vous l’avez dit, était une consommatrice occasionnelle, noire de surcroit.”

“Il voulait clore le dossier rapidement.”

“Il s’en fichait, oui! Encore une junkie des cités qui casse sa pipe.”

 

Léonie baissa les yeux, hésitante.

 

“Mon Lieutenant, j’ai remarqué quelque chose.”

“Oui?”

“La victime… C’était votre soeur, non?”

 

Théo soupira.

 

“Pourriez-vous garder ça pour vous? Je n’ai pas honte d’être le frère de Sarah, mais si ça se sait, je serai dessaisi de l’affaire.”

“Vous les connaissiez?”

“Oui. Je faisais des études de droit à Toulouse, mais je venais régulièrement. A priori les deux affaires ne sont pas liées, mais comme je connaissais la victime, ça pourrait poser un problème.”

“Ca fait plus de six ans, le délai de prescription est dépassé.”

“On pourrait me soupçonner de partialité, ou pire, de collusion.”

“Je comprends. Je ne dirai rien.”

“N’arrêtez jamais de vouloir comprendre, de vouloir savoir. Étudiez les dossiers, repérez les incohérences. C’est comme ça qu’on attrape les criminels.”

“Merci Mon Lieutenant.”

 

***

Le gérant de la société de vidéosurveillance fut très coopératif.

« Le directeur de Mollat m’a demandé de vous donner tout ce que que vous vouliez. »

« Nous aurions besoin de la journée du samedi 18 avril, les vidéos des entrées et sorties, et celle de la pièce où a eu lieu la séance de dédicaces. »

« Vous voulez les visionner ici ? »

« Non, vous pourriez me les donner sur un support ? »

« Oui, je vais vous graver un CD. Comme il n’est pas modifiable, vous pourrez l’utiliser comme preuve au besoin. »

« Comment vous savez ça ? »

« Je suis un ancien policier. »

Il tendit un boîtier à Théo.

« J’espère que ça vous aidera à arrêter votre criminel. »

« J’espère seulement que ça m’aidera à y voir plus clair. Merci. »

« Je reste à votre disposition si vous avez besoin d’autre chose. »

Son équipe était bien occupée quand ils revinrent après avoir pris un sandwich sur la route.

Léonie s’assit à son bureau pendant que Théo s’enfermait dans le sien. Il prit cinq minutes pour se détendre puis retourna dans le pool et commença à remplir son tableau. D’abord la photo de la victime. Pas la photo de son dossier de police, celle figurant au dos de son livre, plus récente, et surtout, ne faisant pas le lien avec son passé. La dernière photo qu’elle avait prise, avec la date et l’heure, puis la photo de la scène de crime prise par l’équipe scientifique. Ensuite une ligne temporelle avec son emploi du temps de samedi et sa mort dimanche. Il ajouta les colonnes ‘transport’, rendez-vous’ et ‘suspects’. Il compléterait le tableau au fur et à mesure des découvertes.

« S’il vous plaît, je voudrais cinq minutes de votre temps pour voir ce qu’on a de nouveau. »

Tout le monde se tourna vers Théo.

« Couffin, est-ce que le dossier d’Angleterre est arrivé? »

« Non, pas encore. »

« Ok, je vais appeler le proc. Pour l’hôtel, vous avez joint la réceptionniste du week-end ? »

« Oui. Elle a vu mademoiselle Campbell partir dimanche matin vers neuf heures trente. J’ai contacté le directeur qui m’a donné les noms de tout son personnel. J’ai appelé la personne qui était de service samedi soir, elle m’a dit que la victime était rentrée vers vingt-deux heures. »

« Donc on a un trou entre la fin de la rencontre chez Mollat et son retour à l’hôtel. D’autre part, on peut éliminer la marche comme moyen de transport, elle n’aurait pas eu le temps d’aller à pieds de son hôtel au château. »

Théo modifia la ligne temporelle de son tableau.

« Rebel, les photos ? »

« Rien de spécial. Je les ai bien regardées, agrandies, je n’ai pas vu d’ombre ou de silhouette suspecte. Par contre, j’ai noté que plusieurs photos avaient été supprimées de la puce. Je l’ai envoyée au labo pour essayer de les retrouver. Aucune idée de qui les a effacées, ça peut être le tueur, mais ça peut tout aussi bien être la victime, si elle était pas satisfaite des prises. Ils m’ont dit qu’ils auraient des résultats demain ou lundi. »

« Parfait. Les réseaux sociaux ? »

« Un message que la sœur a posté ce matin, avec plein de commentaires. Beaucoup de simples condoléances, mais il y a quelques anecdotes. J’ai fait une liste. Quelques commentaires négatifs, de gens qui n’aiment pas ses photos, ou qui s’amusent de son supposé accident, mais pas de menaces. Pareil pour Twitter, le hashtag MelCampbell est assez populaire, les gens repostent ses photos, et la majorité des commentaires sont positifs.»

«Bien. Simonnot, vous avez trouvé comment elle s’est rendue au château ? »

« J’ai contacté les loueurs de voiture et de vélos les plus proches, rien. Pareil pour les taxis. Pour Uber, c’est plus compliqué mais j’y travaille. Pour les transports en commun, elle n’aurait pas pu se rendre sur place avant l’heure de sa mort. La rive droite est super mal desservie. Elle a aussi pu être prise en stop. La dernière solution, c’est qu’elle a été amenée au château par quelqu’un qu’elle connaissait. Il est passé la chercher et ils y sont allés ensemble. »

Un silence se fit dans le pool. Léonie dit tout haut ce que tout le monde avait compris.

« Elle y est allée avec son meurtrier. »

« C’est une hypothèse. »

Théo prit son marqueur et inscrivit ‘connaissait son meurtrier ?’ sur son tableau.

« Bien. On continue. Léonie, je vous confie les vidéos. Vous pouvez regarder en accéléré. Vous noterez l’heure exacte où quelque chose vous paraît intéressant. »

« Les gens qu’elle semble connaître, ou si elle paraît mal à l’aise. »

« Exactement. J’ai encore des coups de fil à passer, vous pouvez venir me voir si vous avez besoin. »

Il commença par le substitut du procureur.

« Salut Vincent. »

« Salut Théo. Tu as le rapport de Sophie, après son deuxième passage ? »

« Pas encore, je vais aller la voir tout à l’heure. Tu as un accusé de réception de Scotland Yard ? »

« Oui, arrivé ce matin. Le Superintendant Ward m’a dit qu’elle envoyait une équipe à l’appartement de Mel aujourd’hui, qu’elle allait faire une demande pour les fadettes et vérifier la localisation de la dénommée Anna Milford. C’est qui ? »

« L’ex de Mel. »

« Ok. Et à par ça, tu avances ? »

« Pas vraiment. On étudie son samedi, en espérant que ça éclaire son dimanche. »

« Tu me tiens au courant ? »

« Oui, sûr. »

Théo consulta sa montre et reprit son téléphone. La conversation avec l’éditeur londonien de Mel ne donna rien de nouveau. Pas d’ennemis connus, pas de lettre de menace ou de harcèlement, pas d’admirateur fanatique. Et la thèse du meurtre crapuleux, pour augmenter les ventes du livre, ne tenait pas la route.

Il soupira et prit son blouson.

***

Sophie avait les yeux dans son microscope quand Théo arriva au labo.

« Tiens, regarde. »

Théo se pencha et vit une comparaison de…

« … cheveux ? »

« Exactement. À gauche, le cheveu de la victime, à droite, celui trouvé sur les lieux du crime. En inspectant les autres pièces plus minutieusement, on a découvert une marque récente sur la cheminé du salon qui contenait des cheveux et des cellules de peau. La recherche ADN va prendre des jours, voire des semaines, donc on a commencé par une comparaison visuelle. Tu en dis quoi ? »

« Ils semblent identiques. »

« Exactement. En plus, vu la longueur et la grosseur, je suis certaine que c’est bien là que sa tête a tapé la cheminée. »

« Super. Autre chose ? »

« Oui, il y a des traces ADN sur le blouson de la victime. Comme pour les cheveux, il ne faut pas compter sur une réponse rapide. Ça servira juste à confirmer l’identité de ton criminel. »

« Aucune idée. »

 

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